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Maintenir son équilibre face au stress: l'importance de se trouver un sherpa dans son milieu de travail

Éviter l'ascension du stress professionnel par un simple moyen


Pour presque toutes les montées de l’Everest, il y a des gens qui travaillent dans l’ombre, des êtres dotés d’un dévouement extraordinaire qui rendent possible l’impossible pour des centaines d’alpinistes et qui ont parfois sacrifié leur vie pour en sauver d’autres. Ces personnes, appelées sherpas, habitent depuis plus de 500 ans dans la chaîne de montagnes himalayennes, entre 2600 et 4400 m d’altitude. Riches en connaissances et possédant un métabolisme adapté à leur environnement, les sherpas sont, mieux que quiconque, capables de tolérer la haute altitude. Cela fait d’eux d’excellents guides et porteurs pour accompagner les alpinistes qui ont soif du plus haut sommet du monde.

Lors d’une discussion avec Maxime Jean, un alpiniste de grande renommée ayant déjà gravi l'Everest, il m’a fait part que, pour lui, un sherpa est bien plus qu’un porteur ou un guide. En effet, pour cet alpiniste chevronné, un sherpa est un compagnon de cordée au même titre que tous les autres membres de l'équipe. Une relation de confiance doit exister au sein de l’équipe, et ses membres doivent posséder des compétences complémentaires qui s’uniront en situation de survie.

À titre d’exemple, en haute altitude, il peut arriver de perdre la notion du temps et d’être confus sans même s’en rendre compte. Ce seront donc nos compagnons qui nous feront signe que quelque chose ne va pas et qui prendront les mesures nécessaires pour assurer notre bien-être, voire notre survie. Cependant, toujours selon Maxime Jean, toute cette magie peut prendre forme uniquement si l’amorce de la montée a été précédée d’une très bonne préparation.

Rôle du sherpa dans notre milieu professionnel

Tout comme l’ascension de l’Everest, la performance professionnelle sous haut niveau de stress peut occasionner plusieurs symptômes physiques et psychologiques sans que nous en ayons connaissance. Malheureusement, lorsque le stress est maintenu sur une longue période, le corps tentera de reprendre le contrôle en travaillant davantage et en essayant de nouvelles stratégies qui n’auront pour effet que de nous propulser plus rapidement vers un épuisement.

Or, dans le cadre de ma conférence "La santé mentale... un risque sous-estimé", je recommande à tous les participants de se trouver un sherpa dans son milieu de travail. Ce sherpa doit bien évidemment être une personne :

  • En laquelle vous avez confiance;
  • Capable de manifester de la bienveillance envers les autres;
  • Qui vous connaît relativement bien, car elle aura pour principal mandat de vous informer lorsque vos signaux de stress physique ou psychologique apparaîtront avant qu’ils prennent trop d’ampleur et ne deviennent chroniques.

Nous verrons un peu plus loin la stratégie à adopter pour que les interventions de notre sherpa soient efficaces. Tout d’abord, je dois prendre le temps de vous démontrer qu’il est souvent complexe de se trouver un sherpa… de confiance.

Trouver une personne de confiance (ou pas trop menaçante)

Cela peut sembler très facile, pour ne pas dire simplet, de choisir un sherpa, mais détrompez-vous!

En effet, plusieurs facteurs peuvent freiner le processus de recherche d’un sherpa tels que le type d’organisation dans laquelle vous travaillez, votre niveau hiérarchique, l'échiquier politique, les jeux de coulisses et même le style de gestion encouragé par la haute direction.

Loin de moi l’idée de mettre toutes les organisations dans le même panier, mais je crois prudent de mentionner que, malheureusement, plusieurs organisations ne possèdent pas la maturité ou ne disposent pas des outils nécessaires à la prévention active de la perte d’équilibre attribuable au stress professionnel ou à la maladie mentale.

En ce sens, vous risquez de trouver ardu de vous trouver un sherpa si vous êtes un cadre ou un employé avec beaucoup de responsabilités, si vous convoitez une promotion, s’il règne dans l’organisation un climat malsain de compétitivité ou s’il n’y a pas vraiment de notion de confidentialité – par exemple, si quelqu’un part en arrêt de travail, la machine à rumeurs se met en marche : les gens portent des jugements condescendants sur la personne absente pour raisons de santé mentale (vous êtes au courant à cause des confidences de corridors) – si les faiblesses sont souvent mises de l’avant plutôt que les bons coups, si la collègue en face est très proche de la fille des RH (celle qui a une influence négative sur les personnes qui octroient les promotions), si vous venez de demander de vous faire payer un MBA, si tout le monde sur votre étage dîne devant son écran, si la rumeur court que des coupures auront lieu la semaine prochaine (ce qui est souvent précurseur d’un climat de délation), bref, si vous vivez dans un environnement de travail toxique où l’équilibre rime avec… la carte du programme d’aide aux employés qu’on vous a remise dans votre petite pochette d'embauche.

Ce sont là plusieurs exemples de situations toxiques qui peuvent polluer un climat de confiance professionnelle. Il suffit de vivre une seule des situations figurant dans cette liste pour perdre tout espoir de trouver un guide qui nous fera signe lorsque nous manifesterons des signes de stress, ce qui peut malheureusement être interprété comme un signe de faiblesse dans certaines organisations. Dans ce cas, manifester notre désarroi et verbaliser que nous avons besoin d’aide serait en quelque sorte un suicide professionnel.

Maintenant que vous avez identifié un sherpa qui veut réellement votre bien, il est important de mettre en place une stratégie d’intervention. Pour que l'intervention soit efficace, il est primordial de faire un exercice d’introspection préparatoire.

Cet exercice préparatoire consiste à réaliser une introspection afin de répondre à trois (3) questions :

1. Quels sont vos déclencheurs de stress (vos pièges) au travail et dans votre vie personnelle?

Par exemple, lorsque vous avez un surplus de travail, que vous travaillez sur un nouveau projet dans lequel vous n’êtes pas à l’aise, que vous devez collaborer avec tel collègue, que votre patron vous assigne un projet sans vous consulter, que vous avez la garde de vos enfants, etc.

N’hésitez pas à donner des précisions; cela vous aidera à vous connaître davantage.


2. Quels sont vos signaux physiques et psychologiques visibles sous l’effet du stress?

Par exemple, vous êtes moins disponible pour vos collègues, vous prenez moins de pauses, vous travaillez le soir et les fins de semaine pour rattraper le retard, vous répondez bêtement à des questions simples, vous manifestez de l’impatience, vous dormez moins ou plus longtemps, mais vous vous sentez toujours fatigué(e), vous vous réveillez la nuit et vous échafaudez des scénarios, votre jambe tremble, vous commettez des erreurs, etc.

3. De quelle façon votre sherpa doit-il vous faire signe pour capter votre attention?

Par exemple, l’intervention doit se faire avec des observations concrètes, le sherpa doit prendre des gants blancs, car vous êtes de nature susceptible, vous préférez recevoir un courriel, la rencontre doit avoir été planifiée afin que vous puissiez vous préparer mentalement à recevoir les commentaires. Votre réceptivité est‑elle meilleure le matin, le soir, à l’heure du dîner, le lundi?

Ces trois questions vous permettront d’établir un plan de jeu avec votre sherpa avant que celui-ci puisse vous lancer des signaux d’alarme quant à votre manifestation de perte d’équilibre.

Bien sûr, l’avenue consistant à avoir recours à un sherpa repose sur la bienveillance des employés les uns envers les autres. Dans l’optique d’établir des assises solides pour assurer la pérennité de cette initiative, je crois que l’organisation pourrait jouer un rôle important. Par exemple, il serait intéressant d’intégrer l’identification des signaux de stress aux évaluations de performance.


Humaniser l’organisation en faisant des évaluations de « saine » performance

L’organisation pourrait encourager des rencontres périodiques basées sur la bienveillance du gestionnaire envers son employé, où le maintien de l’équilibre serait intégré au bilan de performance tel qu’on le connaît. Ce serait une plateforme d’échange sans ego entre l’employé et son gestionnaire visant à revoir les pièges et la manifestation du stress propre à chacun, ainsi que les méthodes d’intervention efficaces.

En effet, lorsque notre gestionnaire démontre une certaine vulnérabilité ou baisse un peu sa garde politique, cela ajoute souplesse et profondeur à ces rencontres. De plus, c’est l’occasion de former un duo qui s’harmonise pour être sur la même tonalité avant de reprendre son rôle et sa place dans l’organisation. Ça humanise la relation professionnelle.

C’est pour ces mêmes raisons que la discussion sur la manifestation du stress devrait faire partie des évaluations de performance et qu’elle ne devrait pas être un exercice à sens unique. En ce sens, le gestionnaire devrait, lui aussi, faire part de ses propres façons de manifester son stress. C’est un beau jalon à ajouter aux fondements d’une équipe plus bienveillante, car le leader avisé sait que la relève exigera d’évoluer dans un milieu de vie bienveillant et non seulement de compter sur un sherpa…

N’oubliez pas que même si votre organisation ne dispose par d’une structure de prévention du stress, il est toujours possible de vous trouver un guide par vous-même. Si vous ne vous sentez pas à l’aise d’en avoir un dans votre milieu professionnel, vous pouvez en trouver un dans votre vie personnelle.


Quelques mots à retenir

Un guide qui vous fera signe et qui vous dira la phrase qui change tout : Est-ce un bon moment pour lever un drapeau rouge? J’ai remarqué que tu sembles stressé(e) parce que… Qu’est-ce qui te permettrait de retrouver ton équilibre? Comment puis-je t’aider à retrouver ton équilibre?

De plus, le sherpa n'est pas le seul moyen que l'on puisse prendre pour combattre son stress. Je vous présente un autre moyen simple et important ici, à travers la quête et l'entretien de la zone d'équilibre.

Auteur: Andréanne Degrâce Consultante SST & coach d'affaires, EVERESST